La danse est une forme de rituel
Le vendredi 14 octobre 2022
Entretien avec Angelin Preljocaj, Chorégraphe de Mythologies
Vous explorez des mythologies au pluriel avec un spectre large d’époques et de références. Comment les avez-vous choisies et que vouliez-vous traduire à travers elles ?
Je souhaitais un panel ouvert avec des mythologies identifiées, telles les Amazones ou le Minotaure, que l’on connait tous et qui ont des répercussions sur notre manière de façonner le monde, et d’autres plus modernes, comme le Catch de Roland Barthes. Les mythologies abordent des thèmes universels auxquels l’humanité est confrontée : la violence, le désir de puissance, la guerre… et je voulais voir si l’on avait évolué, si ces récits nous avaient nourris ou s’ils continuaient à nous impressionner. Les contes de fées aident les enfants à affronter le monde mais il me semble qu’avec les mythologies, les Hommes réécrivent inlassablement les mêmes histoires.
C’est donc une vision assez noire et fataliste de l’âme humaine…
C’est à la fois un désir de jouer avec ces mythologies, de s’en délecter et de prendre conscience, au fur et à mesure de la pièce, que tout n’est pas si clair dans notre imaginaire et nos attitudes.
Quels sont pour vous les liens qui unissent aussi intimement la danse et le mythe ?
La danse est une forme de rituel. Les mythologies sont toujours traduites par des visions de corps en mouvement et de postures. Je considère les danseurs comme des héros mythologiques. Ils sont, pour moi, des guerriers de l’émotion et de la grâce. Cette création est aussi un hommage aux interprètes.
Vous rassemblez des danseurs classiques de l’Opéra National de Bordeaux et ceux de votre compagnie. En quoi ces alliages vous stimulent-ils et qu’apportent-ils à cette création ?
Ils me décalent, me déroutent. C’est ce que le philosophe François Jullien appelle la « dé-coïncidence ». Il ne faut pas chercher à ce que les choses s’accordent ou se recoupent mais plutôt à observer l’écart entre elles pour évoluer et créer quelque chose de nouveau. Je vois ce groupe de danseurs comme un alliage d’énergies. Je puise dans la dynamique qui se crée entre eux pour créer, comme je le fais dans la musique.
Et pour Mythologies, c’est celle de Thomas Bangalter, ex-membre du duo électronique Daft Punk. Comment avez-vous travaillé avec lui ?
J’avais déjà utilisé des musiques de Daft Punk pour Gravité en 2018. Thomas avait envie d’explorer un nouvel univers musical. Pour soutenir ses inspirations, j’ai écrit un livret qui s’est transformé comme un palimpseste. J’ai repris la musique de Thomas, nous avons échangé et travaillé autour de cette matière musicale. Dans certaines maisons, comme à l’Opéra de Rouen, nous faisons jouer cette musique en direct par les orchestres et c’est une chance.
Propos recueillis par Vinciane Laumonier • juin 2022
Voir plus Une saison de poèmes avec La Factorie, maison de poésie de Normandie.