Le rang de la transcendance
Le mardi 6 février 2024
Entretien avec Francesca Dego, violoniste et soliste du concert Beethoven, Farrenc.
En quoi ce Concerto de Beethoven est-il exceptionnel ?
Écrit en 1806, il constitue le summum du répertoire pour mon instrument. C’est le premier concerto du répertoire à atteindre une telle ampleur. À lui seul, le premier mouvement est aussi long que n’importe lequel des concertos complets de Mozart !
Il a été l’inspiration, ou du moins la référence, pour tous les compositeurs qui ont suivi et qui ont écrit pour violon, à commencer par Brahms.
Comment le ressentez-vous ?
C’est le premier grand concerto que j’ai entendu en concert lorsque j’étais enfant. J’ai commencé à l’apprendre à douze ans et l’ai joué pour la première fois à quatorze ! On peut lire des interviews de grands pédagogues et musiciens du passé qui disent qu’il ne faut pas toucher à cette œuvre avant d’avoir quarante ans et de la barbe ! C’était peut-être courageux ou imprudent de l’étudier si jeune, mais j’ai l’impression que les morceaux que vous apprenez enfant pour toujours sont gravés dans vos doigts. Cela m’a définitivement sauvée du respect craintif pour la musique qui peut être paralysant. Aujourd’hui, je me sens au bord des larmes à chaque fois que je le joue. Même dans un concerto aussi long (presque quarante-cinq minutes !), il n’y a pas une seule note superflue.
Peut-on dire qu’il s’agit d’une œuvre optimiste pour Beethoven ?
Beethoven a choisi les qualités positives et envolées du violon plutôt que ses aspects dramatiques. Dans le premier mouvement, on touche le sublime avec des chants angéliques où l’expérience humaine est élevée au rang de transcendance.
Le deuxième mouvement est le morceau de musique le plus sincère et tendre, et le dernier mouvement une explosion de joie de vie.
Comment intégrez-vous votre voix ?
Il faut sentir quand pousser et quand écouter et suivre les lignes orchestrales.
Je pense que l’aspect le plus important de cette pièce est qu’on ne peut pas compter sur la virtuosité comme moyen d’expression. Beethoven ne semble pas se soucier des éventuels problèmes instrumentaux du violon mais de la force de la pureté de son idée musicale. Le son doit être imprégné d’une patience sincère et d’une chaleur constante pour permettre à cette musique exquise de se déployer.
Qu’aimez-vous exprimer avec cet instrument ?
Le violon, c’est ma voix, ni plus ni moins. Honnêtement, je ne me souviens même pas de ma vie avant de jouer ! Je l’ai entre les mains depuis l’âge de quatre ans. C’est aussi très spécial de jouer sur des violons historiques anciens, chacun avec sa propre personnalité, que vous apprenez à libérer et mélanger à la vôtre. Je joue maintenant sur un violon Francesco Ruggeri et j’en suis totalement amoureuse. C’est l’un des derniers violons fabriqués par le célèbre facteur crémonais, daté de 1697. L’archet que j’utilise est un Dominique Peccatte fabriqué vers 1850, plein de caractère.
Ce sont deux compagnons parfaits qui participent à l’élaboration de chaque interprétation.
Propos recueillis par Vinciane Laumonier •