Aïda, une héroïne intemporelle
Le mardi 4 juin 2024
Six questions à Pierre Bleuse, directeur musical d’Aïda
Quelle a été votre rencontre avec l’œuvre ?
Diriger Aïda n’a jamais été une évidence. Ma rencontre avec l’œuvre s’est faite en plusieurs étapes. J’ai découvert progressivement les subtilités et le raffinement de la partition qui se cachent derrière une première impression de grandeur. En creusant, j’ai découvert chez Verdi une grande sensibilité.
Aïda est un opéra souvent jugé monumental. Comment dépasser la caricature de l’opéra à grand spectacle ?
On a souvent tendance à décrire Aïda comme un opéra triomphal. Cette description est pour moi trop réductrice. La finesse et sensibilité de la partition se font entendre dès le début avec le prélude. Alors qu’il est traditionnellement convenu de faire apparaître l’ensemble des thèmes musicaux dans l’ouverture d’un opéra, Verdi opte ici pour une intériorité rare en ne présentant que deux thèmes : celui d’Aïda et celui des prêtres.
L’opposition de l’intime et de la sphère publique est donc au cœur de la partition. Comment concilier les deux ?
Les deux thèmes sont intrinsèquement liés. Nous avons besoin du débat politique et des rapports belliqueux entre les deux peuples pour faire exister en profondeur le thème de l’amour. Les grandes scènes chorales d’Aïda permettent à Verdi de faire naître des scènes plus intimistes et d’explorer un thème qui lui est cher : la pureté de l’amour.
L’esthétique orientaliste d’Aïda peut-elle faire débat aujourd’hui ?
Aujourd’hui, la forme même de l’opéra peut faire débat : pourquoi privilégier une forme du passé à la création ? On se retrouve à traiter des sujets qui peuvent paraître en décalage avec nos sociétés mais, au contraire, c’est toujours intéressant de faire se confronter notre patrimoine culturel et la création. Je ne peux les dissocier de ma vie de musicien.
Votre connaissance du répertoire contemporain vous permet-elle d’appréhender autrement la musique de Verdi et particulièrement d’Aïda ?
Ma connaissance du répertoire contemporain me permet d’appréhender chaque partition avec un regard toujours frais. J’essaye de construire une relation avec chaque compositeur, même s’il n’est pas présent, afin de dégager avec le plus d’honnêteté possible ce qui me paraît important dans la partition.
« En réalité, toute la beauté de l’opéra réside dans son intimité. »
Comment décririez-vous le personnage d’Aïda ?
Aïda se définit tout d’abord par un immense courage et une grande intégrité qui sont sa force. Cette femme, isolée et déracinée, doit combattre ses propres démons et choisir entre l’amour de sa famille, de sa patrie et cet amour qui grandit pour Radamès. L’image que j’ai du personnage n’appartient pas forcément au passé mais est bien ancrée dans le monde d’aujourd’hui.
Propos recueillis par Solène Souriau
Voir plus L'Opéra Aïda retransmis en direct gratuitement samedi 5 octobre à 18h, depuis le Théâtre des Arts, partout en Normandie et au-delà.