Des histoires qui renferment une part de rêve
Le mardi 6 février 2024
Entretien avec Katia et Marielle Labèque, pianistes.
Après Les Enfants Terribles, Philip Glass crée pour vous une version pour piano de La Belle et la Bête et Orphée.
Quelles sont les richesses de ces œuvres ?
Marielle Labèque : Nous avons rencontré Philip à Los Angeles lors de la création de son concerto en 2015 et il nous a partagé l’envie de travailler ensemble sur cette adaptation de la trilogie. Cela a été un cadeau pour nous, à l’heure du confinement, de nous plonger dans cette création. La Belle et la Bête est organique et virtuose à certains moments. Orphée est plus intime et surprenant avec ce ragtime, par exemple, en ouverture.
Katia Labèque : Ce sont des histoires merveilleuses qui renferment une part de rêve. Une musique qui parle de la création, du pouvoir de l’imagination et de la dualité : la vie et la mort, le monde ordinaire et le monde de la transformation, Paul et Elisabeth, la Belle et la Bête, Orphée et la Princesse, Cocteau et Glass.
Peut-on dire que cette musique chamarrée s’écoute comme un roman ?
KL : Elle est liée aux personnages et aux histoires. Il est impossible de ne pas penser au texte lorsqu’on joue la musique de Glass liée à Cocteau.
ML : Et c’est l’énergie de nos pianos qui doit prendre en charge ces histoires et la voix des chanteurs. La musique se déploie d’une telle manière qu’on ne sait pas forcement vers quelle direction on va.
On a vraiment ressenti cette dimension évolutive lors de nos sessions de travail pour l’enregistrement du disque.
En quoi la musique de Glass tient-elle une place particulière dans votre cœur ?
ML : Sa musique dite répétitive est très variée dans ses phrasés, c’est ce qui en fait toute la beauté. Elle contient peu de notes mais est exigeante. Elle pose la question de la simplicité. Tout ce que Philip raconte dans son livre Paroles sans musique me va droit au cœur. Travailler avec lui, c’est se plonger dans un monde que nous ne jouions pas auparavant. Il a une approche très libre de sa musique et laisse l’interprète s’emparer de l’œuvre pour trouver ses propres tempi. Une ouverture précieuse.
KL : De grands interprètes jouent Glass à présent et c’est très beau de l’entendre de façons différentes. Marielle et moi le considérons comme le grand compositeur romantique de notre siècle.
Vous aimez travailler avec les compositeurs contemporains, pourquoi ?
KL : C’est important de garder toujours un contact avec la réalité musicale de notre époque. C’est une inspiration de travailler avec des compositeurs comme Glass mais aussi Dessner, Muhly, Golijov…
Qu’est-ce qui maintient en vous cette flamme et cette curiosité si vives après cinquante ans de carrière ?
ML : Se plonger dans une œuvre comme c’est le cas ici est une chance, une manière de se régénérer. La sensation d’être immergé dans une matière vivante. Il est rare qu’on passe autant de temps, et avec autant de minutie, dans une œuvre. Partager, ensuite, en concert, ce mythe qui parle à tous est un moment magique qui nous galvanise.
Propos recueillis par Vinciane Laumonier •