Loin de la douleur
Le mardi 24 octobre 2023
Entretien avec Laurence Equilbey, cheffe d’orchestre.
Que provoque en vous le Requiem de Fauré ?
Il ouvre un espace impressionnant, sacré, mais également humble et apaisé face à la mort. In Paradisum est mon mouvement préféré. Fauré invente l’apesanteur en musique.
Quelle est sa singularité ?
Il a beaucoup évolué au cours du temps. Fauré l’a retravaillé, tant dans sa structure, qui s’est peu à peu étoffée de nouveaux mouvements, que dans son orchestration. Cette dernière est au départ très légère, presque de l’ordre de la musique de chambre, et c’est surtout lorsque Fauré envisage de faire éditer le Requiem qu’il va le réviser pour le confier à un effectif orchestral plus habituel, dans cette version dite de 1900 que nous interprétons. D’autre part, c’est un Requiem qui prend le contrepied des canons du genre : presque tout y est apaisé, recueilli, loin de la douleur ou de la crainte du Jugement dernier. Une véritable « berceuse de la mort », selon ses propres mots.
Qu’apporte le film de Mat Collishaw à l’écoute de cette œuvre ?
Je cherche à relier la musique avec les arts plastiques pour certains projets et j’essaie toujours de faire résonner les œuvres du passé avec le présent. Ici, la combinaison de la musique sacrée de Fauré, jouée sur instruments d’époque avec le travail d’un vidéaste, m’a semblé être en osmose avec cette idée.
N’y a-t-il pas un contraste entre la musique planante et sereine et les images frontales et saisissantes du film ?
Avec ce film, la musique du Requiem semble écoutée par ceux-là même qui partent de notre terre. On retrouve ainsi la force de ce texte maintes fois entendu et cela nous permet d’interroger notre relation à notre propre humanité, à notre propre départ.
Pour qui veut bien se laisser guider par cette proposition très forte et très organique, la symbiose entre le film de Collishaw et le Requiem apparaît de manière flagrante : le calme, l’apaisement des personnages et des paysages que montre Collishaw répond à la sérénité de la musique de Fauré, tandis que le dramatisme de la mise en musique des mots Dies Irae correspond par exemple à un climax de tension des images, dans lequel Collishaw évoque le rituel tibétain de l’enterrement céleste.
Christus de Mendelssohn peut-il être vécu comme un voyage extatique ?
Je le verrais plutôt comme une trajectoire, un panorama saisissant. De la vie du Christ ne subsistent que la Nativité et la Passion, les deux épisodes phares des Évangiles, moments d’intensité et de ferveur pour les chrétiens. Musicalement, on a presque l’impression de deux élans magistraux qui restent suspendus dans l’infini, de deux colonnes éblouissantes, d’autant plus poignantes que l’œuvre est demeurée inachevée.
Vous fêtez, avec nous, les 30 ans d’accentus. Quel sentiment vous anime ?
Un sentiment à la fois de fierté du chemin accompli, artistiquement et dans nos actions de transmission, et aussi de joie quand je pense à la résidence très profonde que nous menons à l’Opéra de Rouen Normandie et dans la région. Ce rapport avec le public et le territoire est unique.
Propos recueillis par Vinciane Laumonier.