La musique est aussi mouvements
Le jeudi 20 avril 2023
Entretien avec Thierry De Mey, Réalisateur des films du concert Danser Ravel et Debussy
Qu’est-ce qui vous passionne chez Ravel et Debussy ?
Ils sont connus comme des maîtres de l’orchestration mais sont aussi des maîtres du mouvement. Ils ont initié un lien fascinant entre danse et musique, ce qui est fabuleux pour moi qui ai toujours baigné dans ces deux univers. Avec La Mer en 1905, Debussy opère une révolution musicale incroyable qui marque un moment crucial au départ de la musique contemporaine. Quant à Ravel, il propose le modèle orchestral le plus abouti au monde !
Comment s’est déroulée la réalisation de vos films chorégraphiés ?
Ma Mère l’Oye remonte à près de vingt ans, suite à une commande de l’Opéra de Rouen Normandie. J’ai demandé à de jeunes interprètes, devenus aujourd’hui de grands noms de la danse contemporaine, de venir danser dans la forêt, au contact des personnages des contes puis dans une expression plus personnelle. La deuxième vidéo a été tournée sur le site de l’ex mer d’Aral en 2009 avec L’Après-midi d’un faune d’Anne Teresa De Keersmaeker. Capter l’immensité de cette mer disparue était une expérience incroyable.
Et La Valse avec Thomas Hauert ?
Elle m’a permis de suivre les improvisations d’un groupe depuis la plus haute tour de Bruxelles jusqu’à un tourbillon frénétique. Le film La Mer, contraint par le confinement de 2021, est tourné sans danseur. Dans l’enchainement des vidéos, ces vagues viennent symboliquement ourler les rives asséchées de la mer d’Aral avec une poétique qui parlera au public d’aujourd’hui.
Vous êtes aux commandes du flux des vidéos projetées en triptyque au-dessus de l’orchestre. Expliquez-nous…
En effet, l’image suit l’interprétation musicale et pas l’inverse. Je dis au maestro : « Faites de la musique ! » et, dans la cabine technique, nous accélérons, ralentissons les films et lançons les points de montage en direct. Ce processus est né d’une expérience malheureuse à l’Opéra de Bruxelles où le chef peinait à suivre le crescendo final d’un ciné-concert sur Prokofiev. Mission impossible résolue aujourd’hui avec ce procédé technique où le temps du cinéma s’adapte à la musique !
De fait, tout est en mouvement dans ce concert : les danseurs, les musiciens et vous-même !
Exactement ! C’est cet aspect kinétique de la musique qui m’intéresse. Tout interprète musical est un danseur. La musique n’est pas seulement des notes, elle est aussi mouvements. Dans ma pièce Light Music, je mets en scène un chef silencieux qui, du simple geste de ses mains, déclenche des séquences musicales. On voit alors la musique. Notre sens de perception du mouvement est en plein activité lorsque l’on écoute de la musique. Des études montrent même que notre cerveau active davantage de cellules pour percevoir le mouvement que pour l’odorat. Avec leurs fabuleuses orchestrations, Debussy et Ravel pensent la musique en mouvement et c’est ce que je souhaite faire voir et ressentir !
Propos recueillis par Vinciane Laumonier•
Le saviez-vous ?
« Ravel, c’est un chef-d’œuvre, mais ce n’est pas un ballet. C’est la peinture d’un ballet ». Ces mots prononcés lors d’une audition privée de La Valse de Ravel par Serge de Diaghilev, le fameux impresario des Ballets russes, marqueront le début d’une brouille définitive entre les deux hommes. Cinq ans plus tard, lors d’une nouvelle rencontre entre les deux hommes, Ravel refusera de serrer la main à Diaghilev. Ce dernier songea alors à le provoquer en duel, avant de se raviser.
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