Le Ballet des faux-semblants
Le jeudi 22 septembre 2022
Entretien avec Richard Brunel, Metteur en scène de Rigoletto
Quel est votre rapport à la musique de Verdi et à cette œuvre en particulier ?
Lorsque j’ai accepté de mettre en scène Rigoletto, j’avais déjà monté La Traviata et Il Trovatore. J’ai retrouvé avec bonheur, dans cette œuvre, ce qui m’avait porté dans le reste de la trilogie : la vitalité de la musique mais surtout son incroyable théâtralité, l’intelligence des situations, la puissance du mouvement qui conduit inéluctablement le personnage principal à la mort, la beauté des ensembles. Il y a néanmoins une particularité dans Rigoletto qui a d’ailleurs été une inspiration pour l’enquête dramaturgique : la dimension sociale est très vite évacuée. Certes, Verdi inscrit l’histoire dans la Cour du duc au début de l’opéra. Mais il s’efface progressivement ce cadre social pour le renvoyer in fine au hors-scène, où le chœur, déshumanisé, incarne les sons de la tempête. L’opéra, dès lors, se vide de sa dimension politique pour se concentrer sur des enjeux intimes. Le duc n’est pas montré en tant que chef d’une communauté, il est réduit à sa dimension humaine. Sa faute est morale, elle n’est pas politique. Verdi a choisi de ne pas
suivre Hugo sur ce point.
Votre mise en scène s’attache également à donner corps à la mère de Gilda, seulement évoquée dans le livret. Pour ce faire, vous avez travaillé avec Agnès Letestu, ancienne Étoile du Ballet de l’Opéra national de Paris. Comment expliquez-vous ce choix ?
La mère de Gilda est un personnage mystérieux. On ne la connaît qu’à travers ces quelques mots prononcés par Rigoletto : « C’était un ange. Elle avait de la compassion pour mes souffrances. Alors que j’étais seul, difforme, elle m’aima. Elle est morte… ». Cette mère-fantôme est avec Gilda la raison de vivre, ou de survivre de Rigoletto. Au cours de notre travail préparatoire, j’ai repensé à La Chambre verte de François Truffaut où un veuf rongé par les ravages de la passion aménage une chambre entièrement dédiée au souvenir de sa femme disparue. Dans l’histoire que nous racontons, la mère hante cet espace, témoigne d’un passé douloureux et cherche à protéger sa fille d’un présent dangereux. C’est au fond l’idée que les morts nous appartiennent si nous acceptons de leur appartenir… Pour lui donner corps, j’étais ravi qu’Agnès Letestu accepte ma proposition et que le projet puisse bénéficier de son intense parcours de danseuse, elle est notre porte d’entrée dans ce monde de la danse.
Propos recueillis par Cyril Pesenti • juin 2022
« Faire politiquement de l’Opéra, c’est donner à chaque personnage la possibilité d’exister en s’affranchissant du cliché que l’on attend de lui ». Richard Brunel