Le contraste d’oppositions
Le jeudi 14 novembre 2024
Trois questions à Jean-Philippe Clarac & Olivier Deloeuil > Le Lab, metteurs en scène d’Ariane à Naxos
Quelles sont les raisons de l’utilisation de la vidéo dans votre mise en scène d’Ariane à Naxos ?
Jean-Philippe Clarac : L’opéra de Strauss se prête parfaitement à l’utilisation de la vidéo qui permet à la fois de révéler ce que l’on appelle le « hors-champ » — ici les coulisses du théâtre — mais aussi d’explorer les coulisses mentales des personnages. La vidéo apporte une dimension narrative supplémentaire en dévoilant ce que les Américains appellent le « stage persona », c’est-à-dire le personnage que le chanteur ou la chanteuse adopte lors des répétitions. Dans Ariane, par exemple, on découvre un Ténor extrêmement célèbre, arrogant en public, mais en réalité très timide et manquant de confiance en lui, ainsi qu’une diva très sollicitée mais qui, en réalité, se sent seule.
Olivier Deloeuil : La personnalité d’un chanteur, ou de tout artiste qui se produit sur scène, est en réalité triple : il y a la personne intime, le personnage social et celui qu’il doit incarner sur scène. Le personnage social se nourrit de l’intimité de l’artiste, mais le personnage scénique influence également sa vie personnelle.
Le débat présent dans Ariane à Naxos entre l’opera seria et la commedia dell’arte, autrement dit entre l’opéra sérieux et la comédie vous paraît-il actuel ?
J.-P. C. : Absolument. C’est une vraie question. Ce qui est comique mais aussi un peu triste c’est que, dans l’opéra, le mécène, commanditaire de l’opéra Ariane, n’a pas confiance en son public. Aujourd’hui, le spectateur, dans la salle, devrait se demander ce que doit ou pourrait être une représentation d’opéra — une question que Strauss et Hofmannsthal eux-mêmes se sont posés et qui constitue le cœur même de l’œuvre.
O.D. : L’opéra a pu se développer et évoluer dans ses esthétiques parce qu’on a, d’une certaine manière, poussé le public à accepter des œuvres nouvelles et parfois déroutantes. Pelléas et Mélisande, par exemple, a d’abord choqué et déconcerté avant de devenir un classique. Il en va de même pour Carmen, qui a reçu des critiques négatives à sa création, mais s’est finalement imposée comme une œuvre majeure. C’est toujours une question d’offre et de demande. Comme tous les arts, l’opéra est avant tout un art de l’offre.
« La scène agit comme un miroir, à la fois pour soi et envers soi, pouvant être à la fois bénéfique et parfois très éprouvant pour la personnalité. »
La figure du mécène semble interroger la relation entre l’art lyrique et ses modes de financement. Comment percevez-vous cette interaction entre création artistique et soutien financier ?
J.-P. C. : Si nous avons choisi d’inclure la première scène du Bourgeois gentilhomme au début de l’opéra, c’est justement pour explorer cette dimension de la pièce. Construire une trajectoire artistique ne peut se faire en toute innocence ; des compromis avec la réalité sont inévitables.
O.D. : Nous sommes conscients que la relation entre le mécène, qu’il soit public ou privé, et les artistes est indispensable à l’art lyrique en France, une tradition qui remonte à Lully et Louis XIV. Cependant, cet équilibre est fragile. Nous avons l’impression d’appartenir à la dernière génération capable de faire de l’opéra, en raison des difficultés croissantes à financer cet art et à attirer un public. Nous, metteurs en scène, cherchons à interroger la musique et les livrets, car la force du répertoire, comme celle des mythes grecs, réside dans sa capacité à être réinterprété à travers les prismes de chaque époque, y compris la nôtre.
Propos recueillis par Solène Souriau •
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