Le spectacle doit transcender les genres
Le vendredi 3 mars 2023
Le vendredi 3 mars 2023
Entretien avec Benjamin Millepied, Chorégraphe de Roméo et Juliette
À quand remonte votre première rencontre de Roméo et Juliette ? Qu’est-ce qui vous a décidé à monter le ballet ?
Je devais avoir treize ans lorsque j’ai assisté pour la première fois à une représentation de Roméo et Juliette par l’English National Ballet, non loin de Lyon. La compagnie était en tournée en France avec la chorégraphie de Kenneth MacMillan. L’adolescent que j’étais à l’époque avait été enivré par ce spectacle. Plus tard, j’ai développé une sorte de résistance à chorégraphier ce sujet extrêmement populaire, sans parler du ballet, qui était sans cesse présenté, et de sa musique très connue. En réécoutant la partition de Prokofiev il y a trois ans, je me suis rendu compte qu’elle avait un côté très cinématographique. J’ai donc décidé de tourner un court métrage concentré sur la scène du balcon en utilisant la musique de ce compositeur. Et je n’excluais pas la possibilité de faire un jour un long métrage. Cet exercice m’a donné l’envie de créer un ballet qui intègrerait la vidéo – que j’ai commencé à utiliser dans mes chorégraphies depuis 2004 – ou du moins qui utiliserait ce medium pour créer une expérience de cinéma en direct. L’idée étant d’exprimer la narration de manière plus réaliste, loin des conventions auxquelles nous sommes habitués avec le ballet classique.
Maintes fois adaptée, l’histoire des amants maudits relatée par Shakespeare est rangée dans l’inconscient collectif avec des mots-clés tels que : amour impossible, bal masqué, familles, honneur, vengeance, poison, balcon… Quel est le « twist » Millepied pour cette version ?
Je suis intimement convaincu qu’on ne peut plus parler d’amour aujourd’hui en évoquant uniquement le sentiment qui unit un homme et une femme. Le spectacle doit transcender les genres et traiter de l’amour entre deux hommes, entre deux femmes ou entre un homme et une femme. C’est une évidence pour moi d’envisager toutes ces combinaisons. La distribution sera modifiée à chaque représentation pour refléter au mieux ce que nous voyons partout dans la société et que je constate au sein même de la compagnie.
Concrètement, comment la vidéo occupe l’espace ?
La première mouture de ce spectacle a été créée au Walt Disney Concert Hall à Los Angeles, conçu par l’architecte Frank Gehry. Les espaces extérieurs et la salle de spectacle constituaient un magnifique décor de cinéma. Il suffisait aux danseurs de quitter le plateau, lieu conventionnel où nous avons coutume de les voir, pour investir l’ensemble du théâtre et laisser l’action se dérouler un peu partout. La caméra les suit de près et filme une certaine intimité que le spectateur n’a pas l’habitude de voir. Installé dans son fauteuil, il assiste à des moments rares et même secrets auxquels la caméra lui donne accès. On oscille entre une expérience conventionnelle de théâtre et un rapport intime quasi inédit aux danseurs. La narration est forcément différente.
Propos recueillis par Oscar Héliani•
« Faire aujourd’hui un ballet avec une espèce de pantomime dans le style du xixe siècle ne fonctionne pas. Lorsque, par exemple, deux personnages se battent, le rendu sur un plateau peut paraître ridicule. Mais si l’on va dans les coulisses avec une caméra et que les danseurs sont entraînés à combattre comme on le fait au cinéma, alors la scène devient réaliste et par conséquent beaucoup plus touchante. Le film apporte de la modernité et de l’émotion. »
Benjamin Millepied, La Terrasse, 2021
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