Une musique qui regorge de richesses
Le lundi 6 mai 2024
Entretien avec Hervé Niquet, chef d’orchestre du concert Saint-Saëns, Godard.
Vous partagez avec nous « le style français », colonne vertébrale de votre démarche. Qu’a-t-il de si particulier pour vous ?
Le style français, c’est la légèreté et la profondeur. Une musique sensuelle et subtile, qui regorge de richesses, sans le dire. C’est la rigueur sur le fond et la fantaisie sur la forme. Elle a cet air de bordel, de désordre un peu foutraque mais construit sur une écriture extrêmement précise et ciselée. Les compositeurs français sont des mélodistes hors pair, des coloristes incroyables. Il s’agit là de transmettre leur langage, notre langage !
L’ombre de Wagner plane sur les compositions d’Augusta Holmès et Henri Duparc. Est-ce aussi son influence que vous souhaitez faire entendre ?
Une certaine « wagnéritude » transpire de ce savoir-faire français mais, l’air de rien, ces pièces restent parisiennes. On y entend l’admiration pour Wagner et l’écho de ses grands effets, cependant, elles demeurent éminemment françaises. Ces deux œuvres sont des petits bijoux. Chacune exprime un état d’âme, à nous de créer le bonheur ou la mélancolie qui l’entoure.
Que provoque en vous la Symphonie n°2 de Godard ?
Godard aurait pu être un très bon compositeur de musiques de films. Cinquante ans plus tard, il aurait fait le plaisir d’Hollywood. D’ailleurs, de nombreuses orchestrations françaises ont eu les faveurs du cinéma. C’est cette désinvolture apparente et ces couleurs foisonnantes qui en font tous les attraits !
Travaillez-vous le contexte des œuvres avec les musiciens ?
Toujours. Le contexte historique, esthétique ou personnel du compositeur. J’aime raconter la façon de jouer de l’époque. L’Orchestre de l’Opéra de Rouen Normandie est d’ailleurs gourmand de ces récits. Cela enrichit notre manière de jouer.
Edgar Moreau vous rejoint pour le Concerto n°1 de Saint-Saëns. Qu’aimez-vous de son jeu et comment abordez-vous la rencontre avec un soliste ?
C’est la première fois que nous travaillons ensemble. J’aime son approche franche, directe et heureuse. La parfaite description de la jeunesse, voyez-vous ! Accompagner un soliste instrumentiste est, pour moi, toujours une angoisse. C’est lui que le public vient entendre, lui qui est à découvert. Je suis toujours soucieux de lui proposer une réponse à la hauteur de son engagement et de ne pas entraver sa prise de risque. Il faut que l’orchestre soit aussi souple que deux ou trois partenaires d’un bœuf de jazz. Mais nous sommes soixante musiciens à bouger ensemble ! Un véritable exercice de funambulisme.
Propos recueillis par Vinciane Laumonier • 2023
Le saviez-vous ?
Avant Saint-Saëns, peu de musiciens romantiques (hormis Schumann en 1850) ont écrit pour le violoncelle comme instrument concertant. Lorsqu’il écrit son Concerto pour violoncelle n°1 en 1872, il souhaite exploiter toutes les possibilités de l’instrument, et par ricochet favoriser le développement de la « musique pure » en France (à côté de la musique qui s’appuie sur des textes littéraires) et remettre au goût du jour des formes classiques comme le concerto ou la symphonie.