Le rêve omniprésent
Le jeudi 29 décembre 2022
Entretien avec Robert Carsen, Metteur en scène du Songe d’une nuit d’été
« Le Songe d’une nuit d’été par Robert Carsen, dans la nuit aixoise de juillet 1991, reste le plus beau spectacle d’opéra que j’aie jamais vu », disait Christian Merlin. Que représente pour vous cette production et quel en est le cheminement ?
La production a vu le jour en 1991. Elle est liée à de nombreux souvenirs, notamment à cette première inoubliable d’Aix-en-Provence. En plein air, au Théâtre de l’Archevêché, une petite lune en croissant semblait se lever sur la scène. Mon équipe, Emmanuelle Bastet et moi, avons pris beaucoup de plaisir à reprendre cette mise en scène à chaque fois qu’elle a pu être remontée, que ce soit à Aix, Lyon, Londres, Milan, Pékin, Bergen ou Philadelphie. Emmanuelle, qui reprend la mise en scène à Rouen, a assuré toutes les reprises depuis la création et connaît aussi bien, voire même mieux que moi, cette mise en scène.
Qu’est-ce qui retient votre attention dans la musique de Britten ?
Pour moi, dans cette partition, chaque instrument colore les personnages avec une rigueur dramaturgique certaine. C’est ce qui la rend formidablement riche et structurée, mais également très difficile à interpréter pour les instrumentistes et les chefs d’orchestre. Chaque chanteur apporte une couleur différente, non seulement par sa voix, mais également par ses déplacements et la plasticité de son physique. Je suis certain que l’Opéra de Rouen Normandie et Ben Glassberg vont remporter ce défi avec brio. L’univers de ce jeune chef anglais correspond très bien à l’œuvre.
Comment avez-vous envisagé le rapport à Britten et à Shakespeare dans cette mise en scène ?
Britten a pris la décision d’enlever le premier acte de la pièce de Shakespeare. Dans l’œuvre originale, Hermia fuit Athène avant de pénétrer dans la forêt. C’est peut-être une façon de quitter le monde de la raison, du rationnel, pour se perdre dans l’inconnu, le danger, avant de revenir à la réalité de la ville à la fin de l’œuvre. Il est intéressant de noter que jusque dans le titre de l’ouvrage et les dernières paroles de Puck adressées au public, le rêve est omniprésent : « Si nous, légers fantômes, nous avons déplu, figurez-vous seulement (et tout sera réparé) que vous avez fait ici un court sommeil, tandis que ces visions erraient autour de vous ». L’image du lit s’est naturellement imposée à moi pour transcrire ces visions : on dort dans des lits, on y fait l’amour, mais aussi des cauchemars. Et si la forêt pour Oberon, Tytania et les elfes était ce lit ? Tout cela nous a amenés, avec le décorateur Michael Levine, à développer notre décor : un immense lit, puis plusieurs lits qui finalement s’envolent. Un monde d’elfes scindé en deux : le vert pour Obéron, le bleu nuit pour Titania, un mélange de ces deux couleurs pour les autres elfes. Certaines œuvres, comme Le Songe d’une nuit d’été, sont tellement fortes en elles-mêmes qu’elles n’ont finalement pas besoin d’être actualisées pour avoir une résonnance avec notre temps. Nous avons essayé à l’époque de mettre l’attention sur le côté onirique. N’existe-t-il pas quelque chose d’intemporel dans nos rêves, dans nos songes ?
Propos recueillis par Cyril Pesenti • juin 2022
« Pas une ride ! Pour tout dire, on était un peu inquiet. N’avait-on pas idéalisé le souvenir ? Ne s’était-on pas construit une mémoire enjolivée en répétant depuis vingt-quatre ans que le plus beau spectacle lyrique qu’on ait jamais vu était Le Songe d’une nuit d’été de Benjamin Britten mis en scène par Robert Carsen à Aix-en-Provence en 1991 ? »
Christian Merlin, Le Figaro, 05/07/2015
Voir plus Une saison de poèmes avec La Factorie, maison de poésie de Normandie.